L’année 2023 représente une période paradoxale dans l’histoire du jeu vidéo. D’une part, elle se distingue comme l’une des meilleures années de l’industrie, notamment grâce à la réception critique positive de nombreux jeux majeurs. D’autre part, elle pourrait être considérée comme l’une des pires années pour les travailleurs du secteur. Le mois de décembre offre traditionnellement l’opportunité de faire le bilan de l’année, et dans le cas du jeu vidéo, cette démarche semble plus que jamais nécessaire.
Cette année a été exceptionnelle à bien des égards, présentant des caractéristiques inédites pour l’industrie. Les répercussions continues de la pandémie de Covid-19, une crise qui a semé le chaos parmi les travailleurs du secteur, et une série de succès à la fois critiques et commerciaux ont marqué cette période.
Sommaire
Un panorama contrasté des jeux AAA en 2023
Commençons par mettre en avant les aspects positifs pour insuffler de l’énergie en regardant vers l’avenir. L’année 2023 s’est révélée marquée, de janvier à décembre, par plusieurs succès, que ce soit sur le plan critique, commercial, ou les deux à la fois. Contrairement à la norme, où un jeu vidéo parvient généralement à faire l’unanimité dans l’industrie et à s’imposer naturellement comme le jeu de l’année, il était impossible de faire une telle sélection en 2023. Des jeux ont rencontré le succès auprès de tous les types de joueurs, sur toutes les plateformes disponibles.
Des titres très attendus aux surprises inattendues
Certes, on peut aisément citer des titres tels que The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom sur Nintendo Switch, Hogwart’s Legacy ou Marvel’s Spider-Man 2 sur PlayStation, des mastodontes attendus qui ont su convaincre des millions de joueurs en quelques jours. Cependant, le véritable sujet de cette année réside dans les succès surprises, comme Hi-Fi Rush chez Xbox en début d’année, qui a séduit la presse, et surtout Baldur’s Gate 3, dont le phénomène a largement dépassé toutes les attentes, même de ses créateurs.
Impact de la pandémie sur l’industrie et l’émergence de jeux indépendants
Il est également important de mentionner d’autres titres marquants de l’année, tels que Super Mario Wonder, Alan Wake 2, Diablo IV, Star Wars Jedi Survivor, Pikmin 4, Cyberpunk 2077 Phantom Liberty, Street Fighter 6 et Resident Evil 4. Il est à noter que tous les jeux énumérés sont des titres à très haut budget. La pandémie de Covid a retardé de nombreux projets qui ont finalement abouti en 2023, entraînant un embouteillage de gros titres et de budgets marketing associés. Cela a laissé peu de place aux jeux indépendants pour briller. Malgré cela, des titres tels que Jusant, Chants of Sennaar, Tchia, Lethal Company, et même si ce dernier n’est pas véritablement un jeu indépendant, Dave the Diver, ont tout de même réussi à se faire remarquer.
Crise du travail dans l’industrie du jeu vidéo en 2023
Malheureusement, l’année 2023 a été marquée par une crise sans précédent pour les créateurs et créatrices de jeux vidéo. Chaque semaine a apporté son lot d’annonces de fermetures de studios ou de licenciements au sein de studios pourtant largement bénéficiaires. Un site web a même été créé pour recenser ces événements, mettant en lumière une situation préoccupante. Le conglomérat européen Embracer Group est particulièrement pointé du doigt, étant responsable à lui seul de la suppression de centaines de postes (954), suite à l’échec d’un contrat de 2 milliards de dollars avec le fonds d’investissement d’Arabie Saoudite.
Chaque cas de licenciement est unique, allant d’un projet de jeu qui ne trouve pas d’éditeur à un ajustement après une croissance inattendue pendant la pandémie de Covid-19. Bien que cette dernière ait retardé de nombreux projets, elle a été une aubaine financière pour l’industrie du jeu vidéo. Cependant, le fantasme du Métavers et un (sur)investissement financier dans les studios et éditeurs ont créé une bulle qui a éclaté en 2023, touchant des entreprises telles qu’Unity et Epic Games, qui ont respectivement supprimé 1165 et 830 emplois.
Impact sur l’industrie et compétition déloyale
Des entreprises largement bénéficiaires, comme Embracer, ont enregistré des profits importants (582 millions d’euros l’année précédente). Des géants tels que Sony et Microsoft, malgré leurs recettes records, ont également procédé à des licenciements. La pression des licenciements a créé une compétition déloyale entre les développeurs, faisant baisser le niveau de vie et contribuant à une industrie plus hésitante, réticente à publier de nouveaux projets ou à prendre des risques. Cela s’est traduit par la confirmation de suites chez de nombreux studios indépendants.
Enjeux salariaux et problèmes structurels
La question des salaires dans l’industrie est également préoccupante. Des disparités flagrantes existent, avec des patrons tels que Bobby Kotick recevant des rémunérations extravagantes (155 millions de dollars en 2020), tandis que le salaire moyen d’un développeur aux États-Unis est de 38 600 dollars par an. Ces disparités s’ajoutent aux problèmes systémiques de culture du crunch, de protection de management toxique, déjà documentés au cours des dernières années.
La crise touche également les médias couvrant l’industrie du jeu vidéo dans le monde entier, avec de nombreuses publications aux États-Unis, telles que GameSpot, Fanbyte, le Washington Post et Kotaku, procédant à des licenciements ou réduisant leurs investissements dans le journalisme d’enquête. La crise s’étend au-delà des créateurs de jeux vidéo, impactant toute la chaîne de l’industrie et mettant en lumière des problèmes structurels qui nécessitent une réflexion profonde et des actions concertées.
Émergence de nouveaux médias dans la presse spécialisée
Malgré les défis auxquels la presse spécialisée est confrontée, avec des licenciements et des réductions d’investissements, des lueurs d’espoir se manifestent à travers la création de nouveaux médias. Aux États-Unis, Aftermath a été créé par d’anciens journalistes de Kotaku, désireux de poursuivre un travail approfondi sur le jeu vidéo, se démarquant ainsi de la couverture conventionnelle des actualités et des tests. En France, le média Origami, fondé par des vétérans de la presse JV, a réussi une campagne de financement participatif, soulignant la demande du public pour une information de qualité.
Syndicalisation croissante dans l’industrie du jeu vidéo
Un signe positif au milieu de la crise est le mouvement croissant de syndicalisation au sein de l’industrie du jeu vidéo en 2023. Des exemples notables incluent l’action médiatisée de Sag-Aftra, le syndicat d’acteurs et d’actrices, appelant à des garanties sur l’utilisation de l’intelligence artificielle et à une revalorisation des contrats. De plus, plus de 200 travailleurs chez Sega se sont regroupés au sein d’une antenne du syndicat CWA aux États-Unis.
Les premiers résultats positifs de la mobilisation
Les efforts de mobilisation commencent à porter leurs fruits, comme en témoigne l’accord conclu par Microsoft d’intégrer 77 contractuels aux équipes de Zenimax Bethesda grâce aux négociations menées par la CWA. Cette avancée est particulièrement significative dans un contexte où l’utilisation excessive de travailleurs contractuels contribue au mal-être général dans l’industrie, caractérisé par des conditions de travail précaires, des salaires peu élevés et un fort taux de rotation du personnel.
Résolutions pour 2024 : des jeux mieux produits et des conditions de travail améliorées
À première vue, l’année 2024 promet d’être une période riche en divertissement, avec une liste impressionnante de jeux annoncés tels que Final Fantasy VII Rebirth, Final Fantasy XIV Dawntrail, le DLC d’Elden Ring, Senua’s Saga Hellblade 2, Metaphor: ReFantazio, et Eiyuden Chronicle, pour n’en nommer que quelques-uns. De plus, l’attente de la prochaine console de Nintendo devrait susciter des discussions animées. En anticipant déjà un plaisir ludique en 2024, l’espoir persiste également pour une amélioration des conditions de travail au sein de l’industrie du jeu vidéo.
L’espoir réside dans la possibilité d’une année où les jeux seront produits avec plus d’attention et de soin. Plutôt que de se concentrer uniquement sur des projets ambitieux en termes de budget, l’aspiration est à des jeux qui prennent le temps nécessaire pour être développés de manière approfondie, sans sacrifier le bien-être de ceux qui les créent. Une volonté collective pourrait émerger, appelant à un équilibre entre la qualité des jeux et le respect des développeurs, évitant ainsi de les épuiser dans le processus de création.
